En matière de dommage corporel comme en toute autre matière juridique, le juge ne délègue pas son pouvoir de juger à l’expert.
Quand la compréhension d’un problème technique dépasse le champ de connaissance du magistrat , l'article 232 du code de procédure civile énonce que « le juge peut commettre toute personne de son choix pour l'éclairer par des constations, par une consultation ou par une expertise sur une question de fait qui requiert les lumières d'un technicien ».
Le code n’indique pas que le juge opère un transfert de pouvoir.
L’éclairage apporté par la lumière du technicien peut aider à forger une conviction ou à élaborer une solution mais jamais être la solution en elle-même.
Régulièrement la jurisprudence de la cour de Cassation rappelle donc que le pouvoir du juge ne se divise ni se partage avec l’expert même sur des considérations très concrètes d’aménagement de domicile ou d’aide technique.
Ainsi, la Cour de cassation a été saisie d’un pourvoi contre un arrêt d’une cour d’Appel qui avait rejeté, sans la motiver, la demande argumentée d’une victime visant à la création d’une salle de douche à l’italienne.
La Cour d’appel s’est limitée à fonder son refus sur le rejet de cette préconisation par l’expert médical.
Cette religion du rapport n’a pas été partagée par la première chambre civile qui a rappelé que l'article 455 du code de procédure civile prescrit que « tout jugement soit être motivé ».
Dans cet arrêt du 30 novembre 2023 (n°21-22839), la cour censure le fait qu’« en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de M. [R] qui faisait valoir que le logement familial ne comportant qu'une salle de bain avec baignoire présentait un danger pour lui en l'état de son impotence fonctionnelle et que la configuration des lieux empêchait leur adaptation et requérait dès lors la création d'une salle de douche au rez-de-chaussée, la cour d'appel a violé le texte susvisé ».
Ce rappel salutaire démontre que le débat judiciaire peut légitiment prolonger un débat médico-légal lacunaire.